Enseigner l'EPS : une histoire de temps
Thierry Marchive
Il est commun de dire qu'il "y a un temps pour tout", qu'il "faut envisager chaque chose en son temps". Ces aphorismes du bon sens populaire incitent à penser que la problématique du temps et de sa gestion en matière d'éducation et d'apprentissage est fondamentale. Le traitement du temps occupe une place importante dans l'activité de conception de l'intervention de l'enseignant et est souvent une des premières préoccupations du professeur d'éducation physique et sportive.
L'objet n'est pas ici d'aborder, dans la leçon d'EPS, la question du temps d'un point de vue historique et d'en faire une étude diachronique en balayant les différentes périodes qui ont caractérisé l'histoire de la discipline. Cette analyse serait, à n'en pas douter, fructueuse pour comprendre comment s'organise la leçon d'aujourd'hui, mais nous éviterons cependant les détours de l'histoire et du temps passé pour nous recentrer sur le temps présent.
Parler du temps ne consistera pas non plus à évoquer les conditions atmosphériques dans lesquelles la leçon se déroule. Certes, force est de constater que l'organisation de l'enseignement de l'EPS et le choix des APSA dans les projets pédagogiques d'établissement prennent en compte la répartition des installations couvertes. La pratique d'une activité physique est tributaire des contraintes climatiques quand elle se déroule en plein air. Les enseignants comme les élèves y sont sensibles. Le temps, dans cette acception, a une influence sur les pratiques d'enseignement et donc d'apprentissage, sur le choix des APSA et leur programmation dans le cursus de l'élève... Il suffit de regarder les programmations des établissements pour s'en convaincre, mais, sans en nier l'importance, ce n'est pas de ce temps-là dont nous traiterons ici.
Il ne s'agira pas davantage de débattre de l'intérêt chronobiologique de la place de la séance dans le cours de la journée, à tel ou tel moment dans l'emploi du temps de la matinée ou de l'après-midi de l'élève. Qui a enseigné sait à quel point cette place dans la journée a des incidences sur la dynamique de la classe, sa gestion et la relation pédagogique, voire les apprentissages qui peuvent en découler. Bien que cette question revête aujourd'hui une acuité particulière avec l'expérimentation "cours le matin, sport l'après-midi" proposée sur les rythmes scolaires, elle ne sera pas l'objet de notre réflexion. Il s'agit en effet dans ce cas d'un temps figé, d'un moment particulier, d'un instantané. Or le temps suppose le mouvement, le passage d'un instant à un autre, le développement d'un état premier à un état second...
Ces trois pistes réflexives fermées, il s'avère nécessaire maintenant de circonscrire la notion de temps. En effet, selon Braudel, "le temps est la chose du monde peut-être la plus utilisée et la moins connue. Cela tient sans doute à ce qu'on peut la rencontrer sans discontinuité apparente, donc sans l'apercevoir".
Il importe donc de s'assurer de quoi on parle et dépasser un implicite qui, si on n'y prend garde, nous conduirait dans une aporie. Les mots sont porteurs de sens et de significations. Parce qu'ils sont l'expression d'une culture et porteurs d'idées, ils sont aussi chargés de sous-entendus et d'idéologie.
Nous caractériserons cette notion du temps par les phénomènes qui, d'une part, se perpétuent jusqu'à se reproduire de façon cyclique et régulière en présentant une certaine rythmicité comme le renouvellement des saisons et, d'autre part, expriment une durée, une temporalité qui permet de se représenter le passage d'un instant à un autre...
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Du temps institué au temps nécessaire pour apprendre
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Des textes réglementaires fixent la durée hebdomadaire de l'enseignement de l'EPS par niveau de classe. Les programmes de la discipline, au regard de cette durée d'enseignement, déterminent les apprentissages minimums attendus que les élèves doivent avoir développés à chaque étape de leur scolarité dans le second degré. Dès lors, la question du programme et du temps imparti pour le faire devient la source de protocoles et de discussions complexes au sein des équipes d'établissement et même de la profession dans son ensemble. L'organisation qui en résulte conduit à une répartition en une ou plusieurs séquences d'enseignement dans la semaine dont les durées varient selon les contextes, les choix pédagogiques ou des conceptions didactiques.
Cette première étape relève, pour un initié, de l'évidence. Elle s'accompagne systématiquement d'une partition de l'année en périodes plus ou moins régulières qui sont organisées en cycles, en s'appuyant sur la pratique d'activités physiques sportives et artistiques. L'article 34 de la loi d'orientation de 2005 ouvre des possibilités pour aménager les conditions d'enseignement et répartir l'horaire d'enseignement de manière différente et adaptée à un projet particulier, défini en fonction d'objectifs spécifiés (selon des considérations didactiques, pédagogiques ou éducatives) ; il revient alors aux équipes disciplinaires de faire des choix pour, par exemple, privilégier des apprentissages massés à des apprentissages distribués dans le temps...
Pour autant, derrière cette simplicité apparente et les choix qui sont arrêtés au sein des équipes, se jouent tout à la fois la crédibilité et l'efficience des enseignements qui y sont dispensés et des apprentissages qui y sont effectués. L'enjeu dépasse largement la nature des apprentissages qui s'opèrent ; il est de l'ordre de la reconnaissance de la discipline.
La question essentielle, alors, est moins celle de l'unité de temps (séance, leçon, cycle, année, cursus...) qui caractérise l'enseignement de la discipline, que celle de déterminer ce qui s'apprend en EPS, ou ce qui doit être l'objet d'apprentissages et du temps qui devra y être consenti.
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D'une unité formelle de la séance à son unité fonctionnelle liée aux apprentissages
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Ce découpage horaire, réalisé pour des raisons pratiques, doit être questionné à l'aune des effets qu'il produit et des transformations dans les conduites motrices qu'il engendre. Dans cette perspective, il devient nécessaire d'interroger la pertinence des choix effectués ; ils sont parfois la conséquence d'amalgames, de confusions ou d'incompréhensions. Ainsi, il arrive que les 10 heures minimum d'apprentissage effectif évoquées dans des programmes se traduisent par dix séances de 1 heure (55 minutes réellement) ou par une programmation d'un cycle de cinq ou six séances de 2 heures, voire huit séances d'une durée longue de 1 heure 30. La durée d'apprentissage est alors assimilée à une durée institutionnelle réservée au cours d'EPS sans que ne soit distingué ce qui relève du temps d'apprentissage de ce qui relève des contraintes diverses et multiples (déplacements, passage aux vestiaires, mise en place du matériel, etc.) corrélatives de l'enseignement d'une APSA dans le cadre scolaire ou de l'évaluation des acquisitions qui en découlent. L'écriture des projets pédagogiques, comme celle des projets de classe, se concrétise alors à la suite d'une sorte de mystification ou de tour de passe-passe : le volume horaire consacré à la compétence attendue se résume le plus souvent à un cycle de 10 heures d'enseignement s'inscrivant dans une programmation de cinq à huit séances dont la durée varie.
Au-delà des habitudes et des commodités matérielles qui président aux organisations adoptées, les théories sur l'apprentissage doivent être convoquées pour s'assurer du bien- fondé des stratégies retenues. Quantifier le temps d'une manière générale, c'est y associer un nombre, une unité au temps. On se réfère le plus souvent au nombre de séances ou de leçons, au nombre d'heures de pratique effective, au nombre de cycles d'enseignement dans l'APSA, plus rarement au nombre de cycles dans le groupement auquel appartient cette APSA. Ce sont autant de repères qui permettent d'instaurer un rapport au temps.
Ainsi, l'unité de temps retenue déterminerait les apprentissages et aurait des effets sur les transformations des conduites motrices des élèves. Cependant, plus que le temps de la séance, c'est le temps utile, réservé aux apprentissages qui doit guider les choix et déterminer l'organisation structurelle.
La programmation d'une séquence d'une heure en fin de journée après la récréation dans l'emploi du temps des élèves et de l'enseignant, mais qui en réalité n'offre, dans le meilleur des cas, après le temps de déplacement, de passage aux vestiaires, etc., que 25 à 30 minutes de cours effectif en est une illustration probante. Si, institutionnellement, dans l'emploi du temps, une séquence d'environ 1 heure est effectivement réservée pour le cours d'EPS, le temps utile, beaucoup plus restreint, n'offre que peu de possibilités de temps de travail. La question de la nature des apprentissages qui sont en jeu durant ce type de cours est posée ; elle interroge sur la nature des curricula qui se construisent alors.
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La question du temps d'apprentissage : un objet de diatribe dans la profession
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Cependant, ces mêmes enseignants qui procèdent à ces choix dénoncent le manque de temps, au regard des acquisitions attendues. La parution des nouveaux programmes a engendré des interrogations dans la profession, notamment sur la question des niveaux des compétences attendues et de la capacité des élèves à les atteindre. On repère des difficultés chez certaines équipes d'établissement pour mettre en conformité leurs pratiques d'enseignement avec les injonctions institutionnelles. Différentes explications sont avancées. Les réponses qu'apportent ces équipes à cette problématique, loin d'être singulières, témoignent d'un manque d'adéquation avec l'objectif recherché.
Elles fustigent souvent le manque de réalisme des programmes et des niveaux de compétence à atteindre choisissant de maintenir des durées de cycle d'enseignement d'une dizaine d'heures ; elles réfutent l'allongement des cycles d'apprentissage pour préserver une hypothétique diversité culturelle d'enseignement consistant à multiplier les APSA enseignées ; elles brocardent toutes idées d'évolution en évoquant des impératifs liés au partage des installations sportives avec d'autres utilisateurs qui ne sont pas soumis aux mêmes contraintes institutionnelles. Ces réponses témoignent largement des résistances qu'opposent les enseignants de ces équipes aux changements et à la remise en cause de leurs pratiques, de leurs habitudes, à la redéfinition de leurs modes opératoires.
Loin de s'inscrire dans un conservatisme source d'un certain confort intellectuel et professionnel, elles sont l'expression de la difficulté à formaliser des repères permettant de vérifier les effets du temps d'enseignement sur les conduites motrices des élèves... Elles rendent compte d'une impuissance à quantifier le temps, à sérier les apprentissages, à les hiérarchiser, à diagnostiquer l'instant de leur émergence. Elles expriment aussi un embarras à formaliser les transformations qui les accompagnent et à envisager leur chronologie, notamment dans le domaine des apprentissages fondamentaux de la discipline.
Attitude de déni ou expression d'une incapacité chronique à envisager le changement et les évolutions nécessaires, peu importe. L'évolution de la discipline et de ses enseignements passe à n'en pas douter par un changement des référentiels ; les nouveaux programmes ouvrent une nouvelle opportunité. La question, dès lors, est de savoir si les facteurs de la valeur motrice sont l'objet ou la conséquence des apprentissages. Pour y répondre, interrogeons nos convictions, nos certitudes, nos manières de faire, voire nos habitudes dont on a oublié bien souvent les fondements.
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La leçon d'EPS : une pratique ritualisée en quatre temps, trois mouvements
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Derrière cette résistance au changement, ce sont aussi toute une tradition et des habitudes de fonctionnement qui sont en jeu. Une approche macroscopique révèle que, le plus souvent, quelles que soient les leçons, leur structure présente des caractéristiques communes.
L'inscription dans le temps de la leçon se fait par une composition ritualisée en quatre phases inégales mais contiguës, qui s'enchaînent et s'articulent progressivement de façon très repérable. À un premier temps consacré à l'échauffement, succède un deuxième, celui d'un travail spécifique, souvent décontextualisé, organisé à partir d'une ou plusieurs situations qui visent des apprentissages particuliers en rapport direct avec l'objectif formulé. Un troisième temps consiste le plus souvent à recontextualiser le travail réalisé dans une situation globalisante, qualifiée parfois par certains de situation de référence. Enfin un dernier temps de retour au calme et de bilan conclut la séance.
Corrélativement, cette structure en quatre temps s'accompagne d'une mise en mouvement des élèves, traduisant trois changements d'état qui produisent des transformations sur les plans physiologique et moteur, mais aussi affectif et relationnel. Le premier, lors de la phase d'échauffement, met l'élève dans des conditions optimales d'apprentissage et le prépare, par un éveil des grandes fonctions de l'activité humaine, au travail et aux efforts qui vont suivre. Le second vise, durant les temps 2 et 3 de la leçon, à l'amener progressivement à modifier ses conduites motrices pour développer de nouvelles compétences, tant au niveau moteur que sur le pôle méthodologique et social. Enfin, le dernier temps consiste à diminuer le niveau d'activation de l'organisme, le ramener dans un état de veille et de sollicitation habituelle sans élévation exagérée de son potentiel énergétique ou nerveux.
Cette partition peut apparaître, par certains aspects, caricaturale et formelle. Cependant il s'agit bien d'une permanence que l'on retrouve dans pratiquement toutes les leçons. Ce découpage offre un cadre fonctionnel, qui structure l'intervention de l'enseignant et l'activité des élèves. Il est facile dans sa mise en oeuvre de trouver une cohérence au regard des objectifs poursuivis ; il présente dans bien des cas de l'intérêt tant pour celui qui enseigne que pour ceux qui apprennent. Mais parfois, loin d'être une aide, il devient pour certains un carcan dont ils ont du mal à s'extraire. La forme prime alors sur le fond. Du côté de l'enseignant, le danger d'une démarche analytique fonctionnant pour elle-même est réel. Du côté des élèves, l'absence de sens les engage parfois à travestir leur investissement en attendant patiemment le vrai jeu, le vrai match de la fin de séance se traduisant par des propos incantatoires tels que "quand est-ce qu'on joue, Monsieur", quand ce n'est pas plus prosaïquement le "à quoi ça sert de faire ça, Monsieur ?".
Edgar Morin dans Introduction à la pensée complexe (1990) avance l'idée que toute connaissance a une structure et une fonction ; il déplore que l'école en reste à la structure et ne s'intéresse pas à sa fonction. Cette réflexion rapportée au découpage temporel de la leçon d'EPS s'illustre parfois dans les temps consacrés à la réalisation des différentes tâches proposées aux élèves. Ainsi, quels que soient les acquisitions projetées et les obstacles auxquels seront confrontés les élèves, on constate une régularité de la durée réservée à chacune des situations d'apprentissage sans que ne soient pris en considération la difficulté de ces différents apprentissages et le nombre de répétitions nécessaires à leur stabilisation... C'est le temps d'activité qui structure les apprentissages plus que les apprentissages ne structurent le temps utile à leur émergence.
Toutefois, c'est moins la nature de ces temps qui préoccupe ici que leurs contenus. Car dans l'action, le temps n'est pas intéressant en lui-même ; ce qui l'est, ce sont les tâches à accomplir... Plus encore, si les tâches présentent de l'intérêt, ce n'est pas pour ce qu'elles sont mais ce à quoi elles sont censées conduire. En effet, la fonction principale de la tâche n'est pas d'occuper le temps. Si la tâche indique "ce qu'il y a à faire", il importe que l'enseignant ait défini et spécifié ce que l'élève doit apprendre pour "faire ce qu'il y a à faire"...
Dans le cadre formel de la leçon, la tâche, en organisant des conditions particulières du contexte d'enseignement, vise avant tout des transformations chez celui qui s'y confronte. Pour autant, une tâche ne peut pas être en elle-même de nature à modifier durablement une conduite, une habileté, à mener à un savoir-faire particulier... C'est la fréquence à laquelle l'apprenant y est exposé et les répétitions corrigées auxquelles il va se livrer qui seront opérantes et qui lui permettront de proposer des réponses toujours plus adaptées, toujours plus économiques, toujours plus efficientes.
Bien plus encore, c'est la nature de l'activité à laquelle va se livrer l'opérateur (l'élève) qui y est soumis et les processus qu'il va mobiliser et mettre en jeu qui seront la source des transformations et des apprentissages qui en résulteront. Ce dernier aspect est fondamental dans le cadre de l'éducation physique scolaire visant l'acquisition de compétences propres à la discipline, et des compétences méthodologiques et sociales. L'élève en effet ne peut pas se réduire au rang de simple exécutant, de simple reproducteur, voire d'applicateur contraint.
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La leçon séance d'EPS, une valse à mille temps !
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Par-delà cette organisation en quatre temps, l'observation régulière de leçons d'EPS rend compte d'une multitude de découpages, véritables séquentialisations de leur déroulement, justifiée le plus souvent par des considérations pratiques, didactiques ou pédagogiques. Dans ces conditions, il est parfois difficile d'y trouver une unité, voire d'en dégager une unicité. L'unité constituée par la leçon définie elle-même par une durée qui se reproduit de façon cyclique et régulière, est, à y regarder de près, constituée de tranches d'actions, un temps d'usages divers révélant par ailleurs des usages du temps particuliers, des périodes plus ou moins longues, plus ou moins régulières. On assiste alors à la juxtaposition de tâches dévolues aux élèves qui réclament de leur part, pour chacune d'elles, une activité spécifique.
La leçon se bâtit alors par une succession de temps : temps d'appel, temps de déplacements, temps de présentation, temps d'explication, temps de concertation, temps d'échanges, temps de verbalisation, temps d'exploration, temps de composition, temps d'apprentissage, temps d'expérimentation, temps d'observation, temps d'évaluation, temps de contextualisation, temps de retour au calme et de bilan, etc.
En fait, cette diversité de "temps" repose sur la caractérisation des actions qui y sont réalisées, chacune s'accompagnant de la mise en oeuvre par l'enseignant de dispositifs variés... Cette succession de temps divers - en réalité d'actions - auxquels les élèves sont conviés trahit l'impossibilité manifeste d'intégrer l'ensemble des conditions favorables aux apprentissages dans un même acte. Cette linéarité résulte de la difficulté à prendre en compte la complexité de l'apprentissage et à l'appréhender d'un point de vue systémique.
Mais l'incapacité à saisir au cours d'un même acte d'enseignement toutes les conditions favorisant les apprentissages, engendre une forme de saupoudrage de tâches diverses dont l'efficacité reste à démontrer. En effet, ces dispositifs se révèlent chronophages, notamment en raison du temps que l'enseignant consacre à les présenter, les expliquer et les faire réaliser. Leur mise en oeuvre obère une partie du temps utile aux répétitions elles-mêmes nécessaires aux apprentissages moteurs. Dans ces conditions, on constate souvent que des élèves de sixième doivent développer en badminton la compétence attendue des programmes en n'ayant réalisé que vingt frappes de volant en une heure de cours. De même, l'observation d'élèves de troisième peut révéler dans l'activité football des situations d'apprentissage qui ne les mobilisent avec le ballon pas plus de 5 minutes durant l'ensemble du déroulement de la séance.
La qualité de la leçon repose donc en partie sur la capacité de l'enseignant à articuler ces différents temps, à organiser la fluidité de leur enchaînement et le passage de l'un à l'autre, à les agencer tout en maintenant les conditions d'une activité motrice conséquente et adaptée au projet d'apprentissage.
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L'enseignant, un chrono-maître
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L'enseignant est le dépositaire de ce qui se fait durant le déroulement de la leçon. Il est le garant de l'unité de celle-ci qui s'établit, non pas autour de sa durée et des temps qui la composent, mais bien à partir des apprentissages qui la structurent. Parce qu'il agence, articule, organise, hiérarchise, répartit... et accorde le temps nécessaire pour que l'action aboutisse aux transformations attendues, il est le "maître du temps". Ce contrôle, cette mainmise sur le temps ne se réduisent pas à faire du temps de la leçon le temps du maître, mais doivent construire un temps de l'élève et pour l'élève...
Cette activité de planification est nécessaire pour favoriser la didactisation des connaissances et des savoirs attendus des programmes ainsi que leur appropriation par les élèves. La distribution dans le temps des apprentissages, leur articulation sont des éléments de la pertinence professionnelle de l'enseignant. L'expérience du professeur s'avère être, dans de nombreuses occasions, un facteur de bonification ou d'optimisation du temps disponible ; le novice se situe beaucoup plus dans une linéarité d'instants ou de temps successifs relativement figés. Au contraire, le maître expérimenté propose une gestion plus souple du temps, montrant ainsi une certaine ductilité et une capacité à adapter les temps de la leçon pour tendre vers une plasticité susceptible de répondre aux besoins des élèves.
Le manque de temps, plutôt que de recentrer l'activité d'enseignement du professeur sur l'essentiel et ce qui fonde la présence de la discipline dans l'école, s'accompagne paradoxalement le plus souvent de "butinages", de dispersions produisant un survol du problème et une approche superficielle de l'obstacle. Or, l'articulation de la leçon et de ses différents temps avec ce qui a précédé dans les leçons ou cycles antérieurs et avec ce qui lui succédera est de nature à instaurer une continuité, une complémentarité et, même, à allonger le temps d'apprentissage de l'élève.
Cela est d'autant plus vrai que le travail porte sur des savoirs fondamentaux, des principes et règles généralisables à un grand nombre de situations et de contextes. L'enchâssement de ces strates d'activité des élèves offre ainsi d'une leçon à l'autre et même d'un cycle à l'autre une suite autour de leurs similitudes, de leurs complémentarités et, pourquoi pas, de leurs différences.
Pour illustrer ce propos, il nous apparaît par exemple que l'enseignement de la lutte en collège dans le temps compté de deux cycles ne peut pas se réduire à l'enseignement de quelques formes de corps pour amener son partenaire au sol et l'immobiliser ; il semble plus judicieux de travailler à l'acquisition des principes biomécaniques qui permettront aux élèves d'agir efficacement sur le corps de leur partenaire pour les amener au sol. De la même façon, dans les activités collectives d'opposition, il n'apparaît pas nécessaire de devoir enseigner le démarcage à chaque changement de sport collectif ; les principes liés à l'occupation de l'espace, au changement de rythme, à la communication entre partenaires, à la prise en compte des adversaires, etc., au regard du règlement et de la spécificité de l'activité, sont de nature à donner aux élèves les moyens de s'adapter pour être rapidement efficaces. Dans les deux cas, cela suppose que l'enseignant distingue l'essentiel, le fondamental des traits de surface de l'action, pour centrer son activité d'enseignement sur ce qui est utile et indispensable d'apprendre.
La question alors n'est plus celle de l'unité temporelle de la leçon, mais plutôt celle de l'unité d'appropriation. Celle-ci impose de recentrer l'activité d'enseignement autour, d'une part, du développement des ressources et, d'autre part, sur l'acquisition de principes et de savoirs fondamentaux, notamment en sériant les dispositifs qui offriront les conditions optimales pour que s'opère l'alchimie des apprentissages.
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Qualifier le temps par ce qui s'apprend
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Le respect des différents temps ritualisés de la leçon concourt à offrir un cadre structurant. Par sa stabilité, cette composition reproduite à l'identique d'une fois à l'autre est un élément rassurant tant pour l'enseignant que pour l'élève, dans la mesure où elle propose des repères temporels qui permettent à l'un ou l'autre de se situer dans le cours de son déroulement. Dans le même ordre d'idée, recourir à différents dispositifs intégrant des paramètres facilitateurs des apprentissages rassérène l'enseignant et lui donne l'impression d'oeuvrer efficacement pour l'objectif qu'il s'est fixé.
Cependant, dans bien des cas, les apprentissages visés apparaissent comme des épiphénomènes des dispositifs qui répondent aux représentations de la leçon idéale. Ceci est d'autant plus prégnant quand, dépassant l'approche didactique de la spécialité sportive, il s'agit de caractériser les acquisitions des élèves en se référant à leur motricité et au développement de leurs ressources. La démarche qui consiste à organiser l'enseignement autour d'une distribution régulière du temps, quels que soient les activités enseignées et les apprentissages afférents, présente de l'intérêt sur le plan de l'organisation, de la répartition des installations et du matériel. Pour autant, une distribution du temps disponible en fonction des acquisitions attendues semble être une alternative intéressante et une autre voie à explorer pour juguler les dérives que l'on constate et qui produisent "d'éternels débutants". Il nous apparaît ainsi plus fécond et heuristique, dans le cadre de notre discipline scolaire d'enseignement, de mesurer le temps à l'aune des apprentissages projetés.
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En guise de conclusion provisoire
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Plus que la remise en question de la structure de la leçon, les lignes qui précèdent ont cherché à montrer que celle-ci n'avait d'intérêt que si elle organisait les conditions propices aux apprentissages. Le temps qui est imparti à la leçon semble en être un des éléments déterminants. Il revient professionnellement à l'enseignant ou aux équipes de s'organiser pour en avoir la gestion la plus rationnelle possible, d'une part, en limitant les contraintes susceptibles de consommer du temps et, d'autre part, en mettant en oeuvre des stratégies qui développent, par la complémentarité, des enseignements dispensés avec une visée de complétude motrice.
En ce sens, les différentes typologies repérables des usages du temps en EPS sont révélatrices de la compétence professionnelle des enseignants. L'usage qu'ils en font exprime leur expertise professionnelle et opérationnalise les niveaux d'appropriation des connaissances qui leur ont permis de développer leur compétence. Toutefois, s'il est un indicateur de maîtrise de leur compétence professionnelle, c'est aussi une habileté professionnelle particulière qui nécessite du temps pour l'acquérir et l'exprimer pleinement.